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En séance, au fil de l'affect et de l'émotion. Approches contemporaines

 

Ouvrage collectif sous la direction de Béatrice Ithier

 

Avec les contributions de Sara Boffito (Pavie), Lesley Caldwell (Londres), Roosevelt Cassorla (São Paulo), Giuseppe Civitarese (Pavie), Maria-Teresa Flores (Lisbonne), Béatrice Ithier (Paris), Howard Levine (Boston), Ruggero Levy (Porto Alegre), Mauro Manica (Gênes), Maria-Grazia Oldoïni (Gênes), René Roussillon (Lyon).

 

 

« On voit combien Bion a opéré une transformation radicale de la métapsychologie freudienne des pulsions, en métapsychologie des liens : l’esprit devient une étoffe vivante faisant de l’émotionnel le soutien expressif de l’émergence de l’affect. L’affect se déploie en unisson ou dans l’at-one-ment, désignant un état d’union entre les deux membres du couple analytique, que l’une des acceptions de “O” de Bion, transmutera en vérité émotionnelle du couple en séance. »

En séance, au fil de l'affect et de l'émotion

22,00 €Prix
TVA Incluse
    • Parution : 17/02/2023
    • 153 x 220, 164 p.
    • EAN 9782490350254

     

    La pensée psychanalytique contemporaine a révolutionné la psychanalyse du XXe siècle en plaçant l’émotion au cœur du processus analytique. C’est du déploiement de cette révolution que ce livre voudrait témoigner, avec les apports de différents auteurs internationaux (Royaume-Uni, États-Unis, Brésil, Portugal, France et Italie), particulièrement représentatifs de cette nouvelle métapsychologie des liens.

     

    Une première référence incontournable à Freud conduit aux notions d’affect et d’émotion, considérées comme équivalentes par certains auteurs, alors qu’elles nécessitent une différenciation permettant de les penser en termes de relation.

    René Roussillon rappelle ainsi les principaux « linéaments » de la théorie psychanalytique de l’émotion et de l’affect, en dépliant notamment les différents destins de l’affect.

     

    Si classiquement, la sensorialité peut, selon Freud, être considérée comme le point d’ancrage des sensations motrices et de celles issues des sens, l’affect, dont il affirmait la source somatique, ne trouve sa forme que dans la rencontre avec l’objet. André Green [1973] a rappelé toutefois que chez Freud, l’affect fait partie intégrante d’un système de traces mnésiques, d’origine phylogénétique, mais distribué en particularités individuelles primaires. Dans ces conditions, les premières expressions émotionnelles de la vie psychique constituent des impressions sensorielles déjà produites sous l’action de l’objet, y compris dans la vie in utero.

     

    Toujours selon ce modèle, le perceptif ne peut être renvoyé au simple enregistrement passif d’un contenu sensoriel mais résulte d’un travail en lien avec la pulsion et l’affect qui le conduit à la représentation, soit de chose, de nature visuelle associée à la chose, ou ses traces, soit de mot ou en dérivant.

     

    Freud, de fait, oppose l’affect à la représentation mais ne néglige pas son lien éventuel au trauma, en raison de son articulation à l’objet. César et Sara Botella [1995] ont considéré que Freud référait l’activité psychique inconsciente aux modalités de la pensée animique, selon lesquelles, représentation, perception et motricité ne se différencient pas, leur présence est toujours agissante en séance. La régression formelle qu’ils ont théorisée dans les années 1990 permet l’accès à ce monde profond dans une identité de perception, dont le partage d’affect, constitue la principale donnée. Déployant les différentes transformations de l’affect, André Green a caractérisé, par exemple, les émois dans l’affect comme perception de mouvements internes et de sensations de plaisir/déplaisir, lui conférant sa spécificité.

     

    Pour conclure ce rappel, dans le chapitre VI de L’Interprétation du rêve, Freud conférait à l’affect du rêve, la même importance que l’affect vécu à l’état de veille. Il ajoutait que c’est bien plus par son contenu d’affect que par son contenu de représentation que « le rêve peut revendiquer d’être accueilli parmi les véritables expériences de notre âme » [Freud,1900, p. 509]. « Nous ne parvenons pas à l’y inclure parce que nous ne savons pas apprécier psychiquement un affect autrement qu’en le mettant en connexion avec un contenu de représentation » [id., p.509]. En France, cette remarque semble avoir trouvé peu d’écho durant de longues années, la métapsychologie freudienne demeurant étroitement solidaire du rôle joué par les pulsions, moteurs de leurs conséquences relationnelles.

     

    Nous verrons que la psychanalyse contemporaine a considérablement développé cet aspect dénudé de l’affect dans la confrontation à l’irreprésentable. Elle insiste sur l’appréhension des communications du couple analytique dans une proximité à l’affect plutôt qu’à l’idéation. Mauro Manica et Maria-Grazia Oldoïni relèvent le déplacement qui s’est opéré avec Melanie Klein – de la gestion de l’économie des pulsions à la compréhension des émotions et des angoisses –et confirmé par Wilfred Bion dans sa théorie des liens précoces entre amour, haine, connaissance, dans une approche interrelationnelle des deux membres du couple analytique.

     

    Il n’est pas possible d’omettre les enjeux défensifs de l’un ou l’autre protagoniste du couple analytique. Maria-Teresa Flores souligne que Klein, lorsqu’elle parle de « memories in feelings », traduit l’impact d’émotions et de fantasmes préverbaux liés aux revécus mortifères archaïques dans la situation analytique. Quel contenant alors pour ces angoisses, ces émotions et ces fantasmes les plus primitifs ? Véritable défi pour l’analyste, ils pourront le confronter à une fonction du langage articulée à des états émotionnels dans lesquels, par exemple, les mots peuvent devenir vecteurs de décharge et d’action, d’«enacment », sorte de marqueur externe d’un acte de figurabilité, grâce auquel ce qui n’est pas représenté pourrait acquérir une forme idéationnelle. Roosevelt Cassorla prolonge cette notion « en discutant la manière dont les émotions peuvent aussi se manifester à travers des actions, particulièrement chez l’analyste. » Parmi les différents outils utilisés dans cette confrontation figure au premier plan son vécu émotionnel. Cette approche trouve une forme de développement dans l’interrogation de Lesley Caldwell sur la forte réponse somatique et émotionnelle de l’analyste au patient.

     

    « Ce qui a lieu dans le cabinet de consultation est une situation affective », considère Bion [1970, p. 118]. Ruggero Levy définit un modèle dans lequel l’émotion est une première catégorie de connaissance incluant un paradigme esthétique présent dans la construction de certains concepts bioniens, alors que Howard Levine, rappelle, lui, un certain nombre de paradigmes bioniens des plus connus aux moins connus : affect, préconceptions, auto-sensualité, etc. On voit combien Bion a opéré une transformation radicale de la métapsychologie freudienne des pulsions, en métapsychologie des liens : l’esprit devient une étoffe vivante faisant de l’émotionnel le soutien expressif de l’émergence de l’affect. L’affect se déploie en unisson ou dans l'at-one-ment. Ce concept désigne un état d’union entre les deux membres du couple analytique, que l’une des acceptions de « O » de Bion, transmutera en vérité émotionnelle du couple en séance.

     

    Béatrice Ithier en appréhende les éventuels destins, y compris à partir de la rencontre de leurs matériaux les plus profonds. Développant une théorie intersubjective de l’affect, Giuseppe Civitarese et Sara Boffito nous confronte à leur tour au « monde de nous ».

     

    Nous pouvons observer que le modèle post-bionien d’Antonino Ferro, Giuseppe Civitarese [2015], où il est question de la modification du medium partagé, plutôt que de l’investissement direct à l’autre, a apporté un élargissement des paradigmes bioniens classiques.

     

    Quel destin alors pour l’at-one-ment ? Il est intéressant de voir se confronter les approches en asymptotes d’auteurs contemporains étrangers. S’ils abordent l’affect et l’émotion selon leurs spécificités culturelles et leur créativité propre, tous mettent en valeur l’affect partagé. La présence émotionnelle entre les deux protagonistes donnant accès aux sédiments affectifs les plus profonds.

     

     

    Béatrice Ithier

     

    REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

     

    Bion W. (1965). Transformations, Passage de l’apprentissage à la croissance, Puf.

    Bion W. (1970). L’attention et l’interprétation, Payot.

    Botella C. et S. (1995). La dynamique du double: animique, auto-érotique, narcissique. Le double, Monographie de la RFP.

    Botella C. et S. (2001). "Figurabilité et régrédience", RFP, 2001/4 (vol. 65).

    Ferro A. et Basile R. (2015), dir. Le Champ analytique. Un concept clinique, ouvrage collectif, Ithaque, 2015.

    Ferro A. et Civitarese G. (2015). Le Champ psychanalytique et ses transformations, Routledge.

    Freud S. (1900). L’Interprétation du rêve, OCF. vol. 4., 2003.

    Green A. (1973). Le discours vivant: la conception psychanalytique de l’affect, Puf.

  • Béatrice Ithier est psychologue clinicienne, psychanalyste, membre titulaire de la Société psychanalytique de Paris (SPP) et de la Société psychanalytique italienne (SPI Pavia). Reconnue psychanalyste de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte par l’API, Ithier est également membre d'honneur de l'Institut de psychanalyse et de psychothérapie de Varsovie, où elle enseigne. Auteur de nombreux articles (livres et revues), de culture analytique internationale, elle est impliquée dans l’héritage kleinien et post-kleinien, bionien et post-bionien.

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