Par Simone Sausse-Korff
Tout est imprévisible.
Le confinement nous a brutalement plongés dans une situation totalement inédite, étrange et inquiétante, qui sollicite la notion de « negative capability » que Bion a emprunté au poète John Keats (qui évoque la negative capability dans ses lettres du 21 décembre 1817 et du 27 octobre 1818) :
« Quand l’être humain est capable d’être dans les incertitudes, Mystères, doutes, sans aucune recherche des faits et de la raison. »
En effet, il vaut mieux renoncer aux faits et la raison et être capable de vivre avec les doutes et les incertitudes à l’heure où tout échappe à notre logique habituelle et rassurante. La capacité négative, c’est l’aptitude à tolérer l’inconnu, l’inconnaissable, l’imprévisible. Et on sait que, pour Bion, la qualité principale requise pour l’analyste est la capacité à tolérer l’inconnu.
« Le poète est l'être le moins poétique du monde, car il n'a pas d'identité (...), il n’existe pas en lui-même, il n'a pas de moi ; il est tout et rien ; il n'a pas de caractère », écrit Keats. Le Moi confiné à cause du Coronavirus, c’est ce Moi de Keats. Pas besoin de chercher à être dans la capacité négative de Bion. On y est.
La temporalité est complètement bouleversée.
Les nuits sont étranges. On s’endort le jour. On se réveille la nuit. Bollas parlait du Moi de la nuit et du Moi du jour. Ici ils sont complètement mélangés. Le jour on organise son confinement, chacun à sa manière. Beaucoup rangent les placards, trient leurs vêtements, classent leurs livres, font de la cuisine, (il n’y a jamais eu autant de recettes dans les médias), repeignent leur appartement. Mais la nuit, cette organisation craque et on se réveille avec l’impression d’avoir les symptômes du corona virus. On fait des rêves bizarres. Certains ont commencé à recueillir et étudier ces « rêves du confinement ». On en trouve quantité sur les réseaux sociaux.
Et la psychanalyse dans tout ça ? Toute pratique correspond à un contexte socio-historique. Le contexte actuel met à l’épreuve à l’extrême la pratique psychanalytique. Elle n’a pas été inventée pour s’exercer dans de telles conditions. Les analystes déploient une énergie et une inventivité folles pour tenter de continuer les cures. Ils observent même qu’il se passe des choses étonnantes. Mais au prix d’une grande fatigue. Le «Zoom Fatigue », disent les Anglo-Saxons. Pourra t’elle y survivre ? Peut-être que la psychanalyse ne correspondra plus au contexte de l’après épidémie.
Ou peut-être – hypothèse plus optimiste – se saisira-t-elle de cette occasion pour enfin se renouveler, sans être paralysée par l’orthodoxie et le dogme, et l’éternelle question : « Est-ce encore de la psychanalyse ? »
S. S.-K.
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