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Freud avec Ferenczi, Ferenczi avec Freud

Dernière mise à jour : 24 oct. 2022

À propos du livre de Daniel Kupermann, Pourquoi Ferenczi ? Par Eva Landa



Sur la photo ci-dessus, debout de gauche à droite : Otto Rank, Karl Abraham, Max Eitingon, Ernest Jones ; assis de gauche à droite : Sigmund Freud, Sandor Ferenczi, Hans Sachs. Berlin, 1922.


Le texte qui suit à été présenté par Eva Landa, psychanalyste, membre du groupe du Coq-Héron, à la Matinée d'études : Pourquoi Ferenczi ?, organisée par Ithaque à Paris, le 15/10/2022, avec la participation de Daniel Kupermann, Jean-François Chiantaretto, Yves Lugrin et Philippe Réfabert.



Bonjour à tous.

Je voudrais tout d’abord dire merci à Ana de Staal, des Éditions d’Ithaque, de m’avoir invitée à participer à cet échange, entre personnes qui apprécient Ferenczi, qui s’intéressent à son œuvre et à la transmission de ses idées, rescapées de l’effacement.

C’est donc un plaisir d’accueillir un nouveau livre sur cet auteur. D’autant plus que Pourquoi Ferenczi ?, de Daniel Kupermann, est un livre stimulant, qui fait réfléchir, qui m’a fait réfléchir, et je l’en remercie. Il nous en dit beaucoup sur le parcours de Sándor Ferenczi et nous donne envie d’en savoir encore plus. C’est un guide attentif et son fil rouge est très solide.


Je sors de la lecture de son livre avec une admiration accrue pour ces pionniers, avec leurs découvertes, leurs expériences plus ou moins réussies, leurs angoisses et leur culot devant ces puissances infernales qu’ils avaient convoquées...

Je suis bien d’accord avec la préface de Jean-François Chiantaretto, où il se réjouit du fait que ce livre échappe à la logique d’opposition Freud-Ferenczi qui a longtemps prédominé dans les discussions sur ce thème, pour se focaliser sur les apports novateurs de Ferenczi, qui continuent à aimanter la psychanalyse.

Si Kupermann est sorti de sa rencontre avec Ferenczi avec une perception accrue des potentialités du travail analytique, je sors de la lecture de son livre avec une admiration accrue pour ces pionniers, avec leurs découvertes, leurs expériences plus ou moins réussies, leurs angoisses et leur culot devant ces puissances infernales qu’ils avaient convoquées et, comme affirmait Freud, qu’ils ne pouvaient pas ensuite simplement renvoyer aux profondeurs mais qu’ils se devaient d’affronter avec des moyens toujours en construction.


En plus, comme l’a écrit Sartre : « On entre dans un mort comme dans un moulin. » Comment savoir si Freud a refusé de poursuivre l’analyse de Ferenczi mû par un rejet de la folie et des anomalies, comme l’a ressenti Ferenczi, ou par, supposons, une réédition de la relation amicale proche de la relation aimante mère-fils qui selon lui serait le seul exemple dénué du moindre trait ambivalent ? José Jimenéz Avello, dans un texte traitant du clivage, affirme qu’il aurait été plus facile de dénouer leur malentendu s’ils avaient su que chacun d’eux faisait référence à des pathologies très différentes.

Il faut dire que le destin de Ferenczi est émouvant. On peut être tenté de le transformer en figure christique, le Fils persécuté et mis à mort par son divin de Père. Mais je doute que Ferenczi serait d’accord et, de la même façon, je pense qu’il n’apprécierait pas que ses formulations deviennent des slogans figés. Les personnes qui aiment Ferenczi n’ont par ailleurs jamais voulu créer une école ferenczienne, respectant le fait qu’il ne s’est jamais séparé de Freud ni de l’association psychanalytique.


L’une de ces personnes, Judith Dupont, avec l’équipe de traduction de la revue Le Coq-Héron, qu’elle a aidé à fonder, a eu une participation importante dans la sortie de l’oubli de Ferenczi en France. Parmi les membres du Coq qui ont participé à cette aventure, on peut citer Eva Brabant (responsable de la partie hongroise de l’appareil critique de la Correspondance, entre autres choses), récemment disparue, et Pierre Sabourin, qui a écrit une préface à un des tomes des Œuvres complètes.


Balint craignait que le Journal de Ferenczi contribue à faire croire aux rumeurs diffusées par Ernest Jones dans sa biographie de Freud concernant une supposée folie de Ferenczi...

Judith est devenue, suite à Balint, la représentante littéraire de Ferenczi. Le plus compliqué a été de publier la Correspondance Freud-Ferenczi et le Journal Clinique sans suppressions. Anna Freud voulait enlever certaines lettres, tandis que Balint craignait que le Journal contribue à faire croire aux rumeurs diffusées par Jones dans sa biographie de Freud concernant une supposée folie de Ferenczi, dans le but probable de disqualifier ses derniers écrits, dont ceux qui forment ce que Daniel Kupermann appelle le tournant de 1928.

Judith raconte en détail cette histoire et d’autres dans son livre Au fil du temps. Un itinéraire psychanalytique, où elle raconte aussi son enfance en immersion dans le monde de la psychanalyse. Je vous en donne quand même un aperçu : Judith est tombée très tôt dans la marmite psychanalytique et comme elle le souligne, la psychanalyse est entrée dans sa famille bien avant sa naissance. Sa grand-mère maternelle était la psychanalyste hongroise Vilma Kovacs, patiente et ensuite disciple de Ferenczi ; et Alice Balint, mariée à Michael Balint, était sa tante. Elle jouait avec son meilleur ami et cousin John Balint et une amie chère, Maria, était une des filles de Imre Hermann. Au rez-de-chaussée de l’immeuble où habitait toute la famille se trouvait la policlinique psychanalytique dirigée par Sándor Ferenczi (le Docteur, Freud étant le Professeur), première en son genre.


Pour en revenir à Pourquoi Ferenczi ?, j’aimerais dire quelques mots sur la question de la neutralité de l’analyste, sur le concept d’identification à l’agresseur et sur la possibilité d’introduire du jeu et de la créativité dans les interprétations.



Le précepte de neutralité préconise le refus de considérer le patient comme le bien du psychanalyste.

La neutralité de l'analyste

Peut-être ce qui définit le mieux la situation de l’analyste est le terme paradoxe. Nous sommes confrontées le plus souvent à des situations paradoxales plutôt qu’à des situations univoques et l’analyse des analystes, recommandée par Ferenczi, devrait les aider à supporter de rester sur le fil du rasoir. Certains des psychanalystes qui s’inspirent de Ferenczi peuvent être un peu catégoriques, affirmant que la neutralité ça n’existe pas (bien évidemment, elle ne peut pas être absolue), ou en la réduisant à l’aspect d’une attitude froide ou indifférente, selon la métaphore freudienne du chirurgien – réponse défensive aux dangers de l’amour de transfert et autres tentations des psychanalystes.


Dans son livre, Kupermann adopte cette position de rejet de la neutralité, bien qu’il admette pour l’abstinence un aspect éthique justifié, au-delà de la préservation d’un certain niveau de frustration censé éviter la stagnation du travail analytique. Or l’aspect éthique cité est plutôt lié au précepte de neutralité, qui préconise le refus de considérer le patient comme le bien du psychanalyste, à qui on inculque des idéaux ou que l’on modèle à l’image de l’analyste (ou du superviseur). Il s’agit précisément de ce que Ferenczi critique chez certaines analyses ou supervisions, proposant plutôt d’aider le sujet à se libérer des objets éventuellement incorporés devenus des Surmois tyranniques.

Eva Landa, 15/10/22, Paris

Alors le précepte de neutralité garde son intérêt pour Ferenczi, quand il ne se résume pas à une indifférence qui peut être ressentie comme un abandon mortifère par certains patients. Pourtant, une analysante racontait à son analyste, après le choc initial lors du premier entretien, que le visage impassible de l’analyste lui avait permis de se rendre compte de son besoin ininterrompu de recevoir des signes d’acceptation. On peut dire que l’analysante a compris qu’il s’agissait d’un jeu. La souffrance dans ce cas échoit à l’analyste : tous n’ont pas envie de contrôler leurs expressions... Freud le premier, qui a inventé le divan. Par ailleurs il s’est conduit en mauvais chirurgien incapable d’aller jusqu’au bout de la chirurgie, lâchant Ferenczi le ventre ouvert...


L'identification à l'agresseur

Quant au concept d’identification à l’agresseur, c’est bien Ferenczi qui en a parlé le premier dans le cadre des réflexions sur le traumatisme. Plus tard, après sa mort, Anna Freud s’est approprié le terme pour décrire un tout autre mécanisme de défense : le sujet, confronté à un danger extérieur, s’identifie à l’agresseur assumant activement ce qui avait été subi passivement auparavant ; l’agressé devient agresseur. Il est important de bien distinguer les deux mécanismes, ce type d’argument étant souvent utilisé quand on veut accuser certaines victimes d’être devenues à leur tour des bourreaux, renversement qui peut s’avérer aussi simpliste que fascinant. Les traumatisés de Ferenczi seraient, eux, trop atteints dans leur être pour avoir recours à l’identification à l’agresseur d’Anna Freud : je fais aux autres ce qu’on m’a fait à moi. Le concept ferenczien d’identification anxieuse à l’agresseur suppose que l’enfant traumatisé (ou l’enfant dans l’adulte) se soumet totalement à la volonté de l’agresseur, incorporant la culpabilité de l’adulte pour rétablir l’état de tendresse antérieur. Culpabilité incorporée et non introjectée, selon la différentiation de ces termes établie par Nicolas Abraham et Maria Torok, comme l’explique bien Fabio Landa dans son livre sur les nouvelles figures métapsychologiques de ces grands (re)lecteurs de Ferenczi.


Les interprétations ne sont pas en principe incompatibles avec le jeu et la créativité.
Sandor Ferenczi


Le style interprétatif et la créativité de l'analyste

Le « style interprétatif », ainsi nommé par Kupermann sans grande conviction, pourrait être nommé plutôt « style intellectualisé ». Car les interprétations ne sont pas en principe incompatibles avec le jeu et la créativité : par exemple les jeux de mots tellement utilisés par certains psychanalystes, parfois jusqu’à l’usure (là ils risquent de devenir agaçants). Certains psychanalystes sont devenus connus par leurs interprétations inattendues, comme Heinrich Racker, qui a soudain lâché à une patiente qui rêvait de Chaperon-rouge: « C’est pour mieux vous manger ! »



Michel de M’Uzan en est un autre. Par ailleurs, ce dernier développe une description des processus à l’œuvre dans le psychisme de l’analyste qui correspond bien au « sentir dedans » ferenczien, mais dans le registre de la dépersonnalisation. Il suggère qu’à certains moments de la cure l’appareil psychique de l’analysant peut même s’emparer de celui de l’analyste, permettant la mise en place de processus psychiques originaux qui peuvent donner lieu à des formulations impérieuses et anticipantes à l’égard des contenus inconscients de l’analysant. Cette activité est autorisée par ce que cet auteur appelle la « pensée paradoxale ». Il cite le modèle du système d’inhibition des réactions immunitaires qui permettent au corps de la mère d’accueillir – je répète, accueillir – le fœtus. L’aptitude à tolérer la légère dépersonnalisation résultante de ce processus implique le désinvestissement momentané des frontières du Moi de l’analyste. Il faut mentionner que Michel de M’Uzan cite volontiers Ferenczi dans ses livres.

Donc Freud avec Ferenczi, Ferenczi avec Freud.


Il y a certainement beaucoup d’autres points dans le livre Pourquoi Ferenczi ? qui éveillent en moi des idées, des associations, parfois de doutes. Par exemple la discussion autour du film La Vie est belle, les dessins de Maryan S. Maryan, ou la question du doute de l’analyste devant le récit d’une agression et le risque de répétition du démenti : Y a-t-il une place pour le doute, tout en accueillant la souffrance ? – étant donné que dans les exemples ferencziens l’agression est donnée d’emblée comme ayant eu lieu.


Peut-être apparaîtront-ils pendant la discussion.

Je vous remercie de votre écoute.

Eva Landa

Paris, le 15 octobre 2022



Matinée d'Ithaque, à l’Institut protestant de théologie, bd Arago, Paris. De gauche à droite : Yves Lugrin, Jean-François Chiantaretto, Daniel Kupermann, Philippe Réfabert et Eva Landa.

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