Par Ana de Staal
Conférence sur la traduction française des Œuvres complètes de Freud, présentée au Colloque international des chercheurs en traduction, à la Casa Guilherme de Almeida, São Paulo, le 17/9/2017.
.
Depuis le XIXe siècle (je pense à Schleiermacher, à Humboldt…), le statut de la traduction n’a cessé de progresser ; cela fait donc presque deux siècles que cette activité littéraire se constitue petit à petit comme une discipline à part entière, avec le développement de ses pratiques et d’une pensée théorique propres, avec l’évolution de la professionnalisation aussi, notamment grâce à la création d’associations de traducteurs, de diplômes littéraires spécifiques [1], etc.
Les traductions, la réflexion sur la traduction et l’impact des traductions sur la vie culturelle est aujourd’hui une donnée de travail essentielle aux sciences humaines. Antoine Berman, théoricien français de la traduction, spécialiste de l’allemand – il sera ici question de lui par la suite – disait que ce n’était plus envisageable aujourd’hui d’« écrire l’histoire de la pensée ou de la littérature sans tenir compte du rôle joué par les traducteurs ». Et c’est effectivement très inspirée par ce constat que, en mentionnant ce qui se passe dans le milieu éditorial français autour des traductions de psychanalyse, j’essaierai d’offrir deux ou trois éclairages sur ce qui se passe dans la psychanalyse française elle-même.
Mon exposé sera divisé en trois parties.
Dans la première partie, j’essaie d’offrir un témoignage très bref mais direct de la situation de la psychanalyse en France, en vous racontant ma propre activité d’éditrice et de traductrice de livres psychanalytiques à Paris ; l’état de la discipline aujourd’hui chez nous, nous le savons, n’est pas des plus brillantes… Or cette difficulté a des raisons diverses, mais, si nous empruntons le point de vue qui nous intéresse ici, à savoir le point de vue de traducteurs, on peut aussi légitimement se demander jusqu’à quel point la célèbre et néanmoins très mal aimée traduction des Œuvres complètes de Freud, dirigée par Jean Laplanche, a été un facteur important (ou un simple symptôme ?) de cette triste déliquescence. C’est en tout cas une hypothèse que j’avance, en soutenant que, par ses choix théoriques et sa méthode, cette traduction a opéré comme une sorte de confiscation de l’héritage freudien au profit de ses traducteurs-psychanalystes, qui du fait même de leur position de traducteurs de Freud – à un moment où les droits d’auteur n’étaient pas encore tombés dans le domaine public (ces traducteurs avaient donc le monopole du travail sur ces textes) – bénéficiaient d’une légitimité leur permettant d’exercer un pouvoir sans limites au sein des institutions psychanalytiques et dans les universités, mais aussi sur les textes même de Freud (pis, sur la langue même de Freud).
Dans la deuxième partie, je fais un bref rappel de la théorie d’Antoine Berman sur la traduction, une théorie qui était très en vogue à l’époque du début de la traduction des Œuvres complètes, et qui, selon moi, a fortement inspiré l’équipe de Laplanche (même si cette équipe se réfère avec beaucoup de condescendance à Berman, comme s’il était un théoricien intéressant mais assez secondaire par rapport à leurs propres trouvailles indispensables).
Une histoire de la traduction de Freud en français reste à faire, et cela nous aiderait peut-être à repenser la psychanalyse elle-même.
En troisième partie, enfin, je raconterai brièvement comment nous sommes arrivés à cette traduction française des Œuvres complètes, et j’exposerai certaines de ses conséquences pour notre travail de psychanalystes – tout en laissant clair, dès à présent, qu’une histoire de la traduction de Freud en France reste à faire, et que ce genre de travail nous aiderait peut-être à repenser notre psychanalyse contemporaine elle-même (dans la mesure où l’on peut dire que si toute génération a les traductions qu’elle mérite, les psychanalystes à venir ne méritent pas le châtiment de la traduction laplanchienne des Œuvres complètesde Freud – car elle fonctionnerait sinon comme une sorte de punition pour un péché originel devenu absolument incompréhensible).
Repenser cette traduction, ce serait alors non pas comme un deuxième « retour à Freud», comme l’avait voulu Lacan dans les années 1950 (j’évoquerai cet épisode vers la fin de ma conférence), mais véritablement comme une intégration du meilleur de la théorie freudienne dans l’opération même de traduction : la fin, en tout cas, de ce que j’appelle les « deuils orgueilleux », le dépassement de cette hubris, de cette démesure qui, dans le cas de la traduction qui nous intéresse, prétend à tout prix tout restituer, tout préserver de ce que l’on prend pour « la lettre de l’original » afin de compenser la terrible perte du père, la perte de Freud, la perte de Lacan, la perte de soi dans le vieillissement et la mort – et, surtout, la perte de l’unité primordiale de la langue idéale d’avant Babel (en termes psychanalytiques, et pour parler comme Joyce McDougall : la perte de la fusion primordiale).
Contextes
Donc. Si vous me permettez, j’aimerais commencer par poser un contexte de départ.
Je suis brésilienne née à São Paulo, élevée en grande partie à Rio, ayant fait des études universitaires à Paris. Je vis et je travaille à Paris depuis plus de trente ans ; c’est en France que j’ai aujourd’hui ma famille, mes enfants, mes petits-enfants et mon travail.
Je suis psychanalyste, mais aussi éditrice et traductrice. Depuis 2004, je dirige une collection de livres de psychanalyse aux Éditions d’Ithaque, à Paris – une maison d’édition spécialisée dans les sciences humaines.
Comme traductrice – et bien que je sois de langue maternelle brésilienne –, je pense avoir traduit en français une quantité de textes assez honorable. Des traductions de l’anglais, de l’italien, de l’espagnol ou du portugais, qui m’ont permis de faire découvrir aux Français un vaste chantier international de recherches cliniques et théoriques, dans un contexte où, loin de soupçonner l’existence de ces rivières souterraines de nouveaux travaux, les grandes maisons d’édition abandonnaient le terrain psychanalytique, n’hésitant pas à fermer leurs collections. Et c’est ainsi que, sous ma direction, Ithaque a publié en France, et y publie encore, les travaux d’auteurs comme W. R. Bion, Antonino Ferro, Thomas Ogden, Guiseppe Civitarese, Franco De Masi, Renato Mezan, Christopher Bollas, André Green (qui était égyptien établi à Paris et qui a souvent travaillé en anglais – et j’ai moi-même traduit quelques-uns de ses articles pour les publier en français) …
Il suffit d’entendre ces noms pour comprendre également à quel point cette collection a été, d’abord et avant tout, conçue comme un outil de travail au service de la littérature psychanalytique contemporaine. Car le fait est que, à Ithaque, je ne m’occupe pas des grands classiques de la psychanalyse. Vous vous doutez bien qu’au pays de Gallimard, des Puf et du Seuil ce genre de préoccupation avec la pérennité du patrimoine éditorial est parfaitement inutile. En revanche, comme il y a toujours très peu de monde pour explorer l’avenir – par exemple, les possibles grands textes de la psychanalyse du XXIe siècle –, je me suis dit qu’il y avait là un bon terrain à cultiver, et c’est ainsi qu’Ithaque est aujourd’hui une des seules maisons d’édition françaises véritablement spécialisée dans les textes de psychanalyse contemporaine, et peut-être la seule avec une forte activité de traduction dans la psychanalyse qui, en termes de quantité et de qualité, soit digne de ce nom [2].
Il n’existe pas aujourd’hui de modèle intellectuel et économique qui viabilise l’édition de psychanalyse en France.
Or, depuis au moins une bonne vingtaine d’années en France, qui dit « psychanalyse contemporaine », dit obligatoirement « traduction de textes ». Car la production locale pose problème. Bien qu’en quantité pléthorique (à force de colloques et de conférences vite retranscrites), elle est de qualité extrêmement pauvre, elle est peu créative, purement exégétique, plagiaire et auto-plagiaire, avec quelques rares – et d’autant plus très chères – exceptions.
Il y a quelques jours, un journaliste parisien m’interrogeait par écrit sur la situation de l’édition de psychanalyse chez nous. Permettez-moi de vous lire ma réponse, même si elle est un peu longue. Je lui ai dit : « Le livre de psychanalyse (en France, mais cela se voit aussi en Angleterre et en Italie) souffre avant tout de sa mauvaise qualité. Le narcissisme des auteurs d’une part, les exigences universitaires, d’autre part (le besoin coûte que coûte de rajouter des lignes dans son CV académique), ce sont là des facteurs qui poussent aux publications sans intérêt théorique ou bibliographique, sans le moindre soin éditorial, et qui ne font qu’aggraver la disqualification d’une psychanalyse déjà mise en cause par les sciences cognitives et autres techniques thérapeutiques plus ou moins brèves. Mis à part quelques rares collections exceptionnelles (parmi lesquelles celle d’Ithaque), et l’exploitation d’un fonds d’ouvrages classiques (Freud, Ferenczi, Winnicott) par les grandes maisons d’édition, il n’existe pas aujourd’hui de modèle intellectuel (absence de tout débat véritablement critique) et économique (manque d’intérêt des lecteurs) qui viabilise l’édition de la psychanalyse en France.
Voilà la situation, tout à fait paradoxale : de plus en plus d’“auteurs psy” publient de plus en plus de “livres psy” – le moindre colloque, la moindre conférence, le moindre travail de groupe est immédiatement envoyé sous presse pour être mis à la disposition d’un public… qui ne les achète pas. C’est ainsi qu’on se retrouve, dans les rayons des libraires, avec une littérature psychanalytique quantitativement foisonnante et qualitativement indigente : mauvais papier, mauvaise qualité d’impression, manque d’originalité graphique, mais surtout des ouvrages laids, bourrés de fautes typographiques, souvent au contenu peu fiable, bâclé, construit à partir d’un copier-coller de conférences mal rédigées, sans apparats scientifiques et aux bibliographies datant des années 1990 pour les plus up-to-date… »
Vous voyez bien que le tableau est sombre… C’est comme ça. Il est vrai que nous avons aujourd’hui une production – théorique et clinique – qui reflète sans aucun doute une crise importante au sein de la psychanalyse française, voire de la psychanalyse tout court…
La production psychanalytique française n’ayant donc pas grand intérêt car peu novatrice (et étant plutôt attelée, dans sa déchéance, au modèle éditorial des publications à compte d’auteur), c’est tout naturellement que ma collection s’est tournée vers d’autres pays et d’autres langues, à la recherche d’une nourriture intellectuelle disons moins réchauffée, plus risquée… Or un des résultats intéressants de cette démarche éditoriale, c’est que, sans faire exprès et par un fort effet de contraste, ce projet d’Ithaque a soudain rendu visible, tangible même, non seulement ces carences éditoriales que je viens de mentionner, mais aussi le fait que la France, en matière de psychanalyse, était un pays qui avait cessé de traduire, qui avait cessé de s’intéresser à l’agitation du monde et qui se contentait de vivre dans la nostalgie de ses gloires passées. Grosso modo, ses dernières grandes traductions – Winnicott, Searles… –, toutes impulsées par le remarquable travail éditorial de J.-B. Pontalis chez Gallimard, dataient des années 1970-1990. Depuis, pratiquement plus rien… Nous avions donc un énorme retard à rattraper.
Alors, l’apparition soudaine sur notre scène éditoriale de ces auteurs contemporains étrangers – en majorité vivants encore ! – a provoqué comme un petit scandale dans notre milieu psychanalytique. La psychanalyse ne serait pas si morte que ça ?! Car figurez-vous qu’en France, à l’époque de la parution de mes premiers livres traduits, vers 2006, très peu de gens avaient lu Thomas Ogden, seul une petite poignée avait entendu parler de Christopher Bollas, de Franco De Masi, de Martin Bergmann, ou de James Grotstein … Les séminaires de Bion, célèbres dans le monde entier, n’étaient pas encore traduits, à l’exception d’un seul, passé plus ou moins inaperçu et désormais indisponible... ! Seule une minuscule élite étroitement liée au mouvement psychanalytique international connaissait l’existence de certains débats, de certains travaux originaux à la fois controversés et passionnants, alors même qu’on ne se lassait de soutenir chez nous, dans une sorte de conformisme cafardeux, qu’il ne se serait «rien passé en psychanalyse depuis belle lurette» – sous-entendu : depuis la mort de Lacan environ – et que nous autres, analystes, nous ferions mieux de nous préparer à un enterrement de troisième classe tant tout cela n’intéressait plus personne… Très bien. Mais alors :
Pourquoi un pays aussi central que la France (aussi « premier monde » pour parler comme les Brésiliens), un pays aussi cultivé, avec une aussi grande tradition académique et un panorama intellectuel historiquement toujours aussi vaste, avait-il fini par se recroqueviller sur lui-même et par avoir pour seul horizon le clocher de son église ? Pourquoi ce pays, qui avait conçu un amour fou pour la psychanalyse et qui était d’habitude si curieux de toutes les aventures de l’esprit, de tous les débats à la mode, en venait-il à s’embourber de plus en plus dans une mentalité franco-française, réactionnaire, nationaliste, mais surtout monadique ? Pourquoi avait-on oublié que, par essence et par devoir, une discipline comme la psychanalyse ne peut survivre ni persister que dans un environnement cosmopolite, ouvert à tous vents et à tous débats, tendant à l’universel ? Pourquoi avait-on cessé d’échanger avec le monde extérieur ? Pourquoi ne traduisait-on plus ?
En matière de psychanalyse, nous étions un pays qui avait cessé de traduire... Or un indicateur fiable de l’état de santé d’une discipline est dans le flux important de traductions qu’elle suscite.
Les réponses sont multiples, surdéterminées ; elles sont certainement liées aux changements profonds, surtout idéologiques, économiques et technologiques qui ont eu lieu dans le pays et en Europe à la fin du XXe siècle ; il y a eu aussi le discrédit général dans lequel sont tombées les sciences humaines après les abus conceptuels et l’insouciante exubérance de toute une génération, qui (un peu comme les spéculateurs financiers avec la crise des subprimes) n’a pas lésiné en matière d’emprunts interdisciplinaires impropres ou de spéculations théoriques peu rigoureuses [3] ; mais plus généralement parlant, les réponses à cet état de choses sont aussi liées à notre grande difficulté à tous, en Europe, de se projeter dans le XXIe siècle, et il est vrai que pour nous la vision de guerres pointant à l’horizon n’est pas du tout délirante. Cela rétrécit forcément la perspective… Puis, en ce qui concerne la psychanalyse à proprement parler, n’oublions pas non plus qu’en France, on se débat encore avec la mort de Lacan. Pour ne pas dire avec la mort de Freud !… Et que les Français ne sont pas les plus doués pour négocier leurs deuils (mais qui le serait ?..., m’a-t-on rétorqué un jour, avec raison).
Quoi qu’il en soit, comme je le disais plus haut, nous pouvons aussi trouver un indicateur fiable de l’état de santé d’une discipline en examinant l’évolution de ses échanges intellectuels à travers ses traductions, justement. Du coup, si l’on veut par exemple comprendre ce malaise qui perdure maintenant dans la psychanalyse française depuis presque quarante ans, on ne peut ignorer, entre autres choses, l’histoire et le destin très particuliers de la traduction en français des Œuvres complètes de Freud, publiée par les Presses universitaires de France.
Ne jamais franciser Freud, le décalquer point par point de l’original, le restituer à la lettre quitte à torturer la langue cible pour qu’elle accepte de parler le “génie teutonique” du découvreur de la psychanalyse.
Et nous arrivons là au cœur de mon propos.
Cette traduction, commencée dans les années 1980 sous la direction du psychanalyste et universitaire Jean Laplanche, a été, dès ses débuts, l’un des grands sujets de polémique de notre discipline [4]. Influencée indirectement mais fortement par le lacanisme, elle reflète la manière qu’a eu une génération, ou mieux un certain groupe au sein d’une génération, la manière que ce groupe a eu de lire et de dire en français les textes freudiens. La particularité et le problème de cette traduction est qu’elle reflète fidèlement, trop fidèlement, non pas le texte de Freud mais justement cette lecture spécifique que ses traducteurs en avaient conçu et certaines aspirations très précises de l’intelligentsia française de l’époque – ce qui est un vrai paradoxe, comme nous le verrons bientôt, puisque leur projet était exactement l’inverse, c’est-à-dire celui de ne jamais franciser Freud, de rester au plus près de la lettre, de décalquer point pour point l’original, quitte à torturer la langue cible pour qu’elle accepte de parler « le génie teutonique » de Freud. Enthousiasmés par la mise en application d’une théorie de la traduction qu’ils venaient de découvrir et qui les passionnait, les traducteurs dirigés par Laplanche expliquaient que, parce que Freud avait un style et une langue propres, ils ne traduiraient donc pas de l’allemand, mais directement du « freudien » ; en estimant que leur travail de translation était hautement scientifique, ils ne se considéraient pas à vrai dire comme des traducteurs et préféraient qu’on les appelle les « freudologues » (ils se présentaient comme des experts en « freudologie », une discipline qu’ils avaient inventée).
Le résultat concret de cette fascination ésotérique pour la théorie et la lettre a été surprenant, polémique et, en général, très mal reçu.
Avec cette traduction, une grande partie des psychanalystes et moi-même, nous n’avons pas seulement été perplexes devant un texte souvent indéchiffrable ; nous avons aussi eu le sentiment que les textes princeps, l’héritage, le trésor de la psychanalyse freudienne nous avaient été pour ainsi dire volés, confisqués par la mégalomanie d’une génération qui, peu généreuse et aveuglée par son immense pouvoir à l’époque où elle faisait la pluie et le bon temps dans les départements de psychanalyse des universités et dans les sociétés psychanalytiques, a fait de la traduction du texte freudien un instrument de pur pouvoir politique. Mais ce groupe très puissant a petit à petit vieilli, et ses membres, comme c’est le destin de tout un chacun, ont bien fini par disparaître également, les uns après les autres, laissant derrière eux leur traduction comme un jouet cassé … Un héritage difficile à accepter, impossible à intégrer… Cette traduction, qui laisse transparaître comme une jubilation infantile ou un moment de délire maniaque face à l’apprivoisement victorieux de l’objet, a malgré tout très rapidement vieilli (elle est très vite devenue le portrait craché d’une époque – aujourd’hui dépassée). Elle a pourtant été inspirée de ce qui se faisait de mieux en matière de théorie de traduction à l’époque. Aussi, en aucun cas, on ne pourrait attribuer son échec [5] au manque de compétence linguistique des traducteurs : ils étaient tous des germanistes, des universitaires très cultivés, des lettrés. On ne pourrait pas non plus l’attribuer à une incompréhension de la pensée freudienne – à ces zones d’ombre disons que l’on peut avoir face à une pensée tout à fait nouvelle et surprenante : non, c’étaient des psychanalystes bien formés, très actifs, aguerris dans les séminaires et dans l’enseignement de la psychanalyse, ayant lu différentes traductions de Freud en français, en anglais ou en italien…
Alors quoi ? Que s’était-il passé ?
Bien. Avant d’entrer dans l’histoire de cette traduction et d’analyser un peu plus son destin et ses conséquences sur la psychanalyse d’aujourd’hui, j’aimerais, si vous me permettez, examiner le problème du côté de la théorie de la traduction.
A. de S.
[À suivre... ]
1] En France, c’est notamment depuis les années 1970 qu’une grande impulsion est donnée à ce domaine de la vie intellectuelle.
[2] Pour vous donner une idée de notre torpeur éditoriale, la très prestigieuse collection psychanalytique de Gallimard, la collection « Connaissance de l’inconscient », qui a publié des œuvres de Freud, mais a aussi contribué à introduire en France des auteurs comme Donald Winnicott, Harold Searles ou Lou Andreas-Salomé, a fait paraître sept ouvrages en 2016, dont une seule traduction d’un texte disons « récent » du psychanalyste américain Bertrand Lewin (mort en 1971...), sur la régression. Pour le reste, sans préjuger de la qualité des productions, on est encore à Vienne : une traduction de la correspondance Freud-Bleuler, un commentaire du commentaire de Freud sur la Gradiva de Jensen, une fiction où l’on imagine la correspondance entre Freud et Spinoza, etc. Si vous regardez le site internet du Seuil, vous tomberez, dans la section « Psychanalyse », sur une page avec les œuvres de Françoise Dolto, une ou deux traductions de Freud, les séminaires de Lacan et les livres d’Elisabeth Roudinesco. Allez chez Payot et, pour 2017, mis à part quelques anciennes traductions de Winnicott recyclées avec de nouvelles préfaces, vous trouverez des livres comme : Les femmes et leur sexe, renouer avec le désir; Exercices pratiques d’autolouange, pour témoigner d’une beauté intérieure... Voilà pour l’essentiel de la production des maisons d’éditions « historiques » de la psychanalyse en France…
[3] Le livre d’Alain Sokal et de Jean Bricmont, Les Impostures intellectuelles (Odile Jacob, 1997), marque le point culminant de cette période de manque de rigueur, voire de mystification dans les travaux de sciences humaines.
[4] Voir notamment les très intéressants Actes des Ve Assises de la traduction littéraire à Arles, 2e journée : « Traduire Freud », Arles, Actes Sud, 1988. Disponible en ligne : http://www.atlas-citl.org
[5] Il va de soi que cette traduction a aussi ses adeptes, parfois même ses fervents adeptes – la situation, comme je l’ai dit, est polémique. Je me permets de parler d’« échec » au moins en termes quantitatifs : la grande majorité des psychanalystes n’apprécient guère cette traduction des Œuvres complètes ; on s’en habitue petit à petit avec un certain sentiment d’impuissance, mais souvent on me raconte qu’on ne l’utilise que pour des raisons pratiques et secondaires, comme par exemple le confort bibliographique, parce qu’elle permet des renvois résumés du genre OCF (comme le SE pour la Standard Edition), ou parce que les paragraphes sont numérotés, etc. Au fond, personne ne la lit, cette traduction, et il est vrai que pour une découverte de Freud (par un jeune lycéen par exemple), mieux vaut chercher les anciennes éditions, en attendant qu’on les refasse toutes !
Yorumlar